Recherche
Chroniques
Hector Berlioz
Béatrice et Bénédict
Il suffit de feuilleter l’index des personnes des Mémoires de Berlioz récemment republiées par Symétrie [lire notre critique de l’ouvrage] pour se rendre compte que Shakespeare, dans un trio de tête avec Beethoven et Gluck, est un artiste des plus nommés, des plus aimés. Outre dans l’épigraphe ravivant une fameuse tirade de Macbeth (« Life’s but a walking shadow […] signifing nothing »), on retrouve son nom lorsque le natif de La Côte-Saint-André découvre à l’Odéon la pièce Hamlet (1603)– et, dans le rôle d’Ophélie, Harriet Smithson, future Mme Berlioz –, s’attelle à une fantaisie dramatique avec chœurs à partir de The tempest (1623), ébauche une ouverture pour King Lear (1608/1623), s’énerve qu’on fasse chanter Roméo par une femme, à l’instar de Zingarelli, Vaccaï et Bellini, ou cherche un consolateur au moment de perdre son épouse.
Dès janvier 1833, Berlioz (1803-1869) annonce qu’il va transformer la comédie Much ado about nothing (Beaucoup de bruit pour rien, 1600) en « un opéra italien fort gai ». Mais le travail ne démarre sérieusement qu’en août 1860, avec un enthousiasme qu’exacerba l’attente, suppose-t-on, à la lecture d’un tel aveu : « je ne puis suffire à écrire les morceaux de musique de mon petit opéra, tant ils se présentent avec empressement ; chacun veut passer le premier ». Des soucis de santé et d’autres travaux à terminer retardent pourtant l’élaboration des deux actes de Béatrice et Bénédict, opéra-comique achevé en février 1862. Le 9 août de la même année, il est créé au tout nouveau théâtre de Baden-Baden. Sa version définitive, avec deux numéros ajoutés, voit le jour à Weimar, le 8 avril 1863.
Laurent Pelly retrouve le Glyndebourne Festival où fut déjà appréciée sa fantaisie dans L’heure espagnole [lire notre critique du DVD]. Il y met en scène nos deux jeunes rebelles qui refusent d’avouer leur amour et raillent la convention du mariage. Le décor de Barbara de Limburg consiste en une succession de boites géantes, dont certaines représentent le foyer et la sécurité. Elles apportent du mouvement à une musique associée au rêve – ce sont les dialogues qui engendrent l’action –, unique porteuse de couleurs dans une production où dominent les gris intemporels (costumes, etc.). Ainsi cultivée, la distance met en valeur des joutes verbales soignées, comme permet de l’apprécier cette captation du 9 août 2016.
Stéphanie d’Oustrac et Paul Appleby incarnent les rôles-titres avec talent, la première avec une maîtrise quasi parfaite de ses moyens, le second avec clarté et évidence. Stable mais assez dure de timbre, Sophie Karthäuser (Héro) forme avec Philippe Sly (Claudio), sous-employé, l’autre couple présent. Katarina Bradić (Ursule), au mezzo chaud et onctueux, Frédéric Caton (Pedro), baryton-basse sonore, Lionel Lhote (Somarone), au centre d’un épisode fort drôle, ainsi que le chœur maison préparé par Jeremy Bines complètent efficacement la distribution. Sous la direction d’Antonello Manacorda qui, d’emblée, ravit par sa vivacité, le London Philharmonic Orchestra cultive avec finesse frémissement et suspense.
LB